mardi 17 juin 2014

Les Argonautes du Pacifique occidental

LES ARGONAUTES DU PACIFIQUE OCCIDENTAL. 1922 BRONISLAW MALINOWSKI Surpris par la Première Guerre mondiale alors qu'il se trouve en Australie, le jeune anthropologue Bronislaw Malinowski devient une sorte de « prisonnier d'honneur » (polonais, il est né sujet autrichien) de l'administration britannique, qui le laissera cependant libre de ses mouvements. Il va ainsi passer deux années (1915-1916 et 1918) dans les îles Trobriand, au nord-est de la Nouvelle-Guinée. Isolé, sans autre contact que sa fréquentation intime des indigènes dont il partage la vie quotidienne, il acquiert une connaissance parfaite de la langue vernaculaire. C'est toute l'effervescence spontanée du groupe qui devient son objet d'étude. Malinowski est ainsi le premier à donner une place prépondérante à l'enquête directe sans intermédiaire. En ce sens, il est l'inventeur de l'anthropologie de terrain et de sa méthode de l'observation participante. Des échanges symboliques. Paru en 1922, le livre qui résultera de cette expérience peu commune pour l'époque, Les Argonautes du Pacifique occidental, est un des chefs-d’œuvre de la littérature ethnologique. Son succès tient par ailleurs à ses qualités littéraires : un souffle narratif, de magnifiques descriptions, une sensibilité aux valeurs esthétiques. Les hommes trobriandais, observe Malinowski, pratiquent la kula, un système codifié d'échanges symboliques (des brassards et colliers de coquillages) qui donne lieu à des expéditions maritimes permettant de relier une vingtaine d'îles éloignées et quelques milliers de personnes. Dans un délai de deux à dix ans, les objets reviennent à leur destinataire. Ce circuit d'échanges intertribaux, bien qu'il stimule les économies indigènes (il existe un troc parallèle de marchandises utiles), n'a pas de finalité économique. Il ne s'agit pas non plus de cadeaux libres et désintéressés. L'échange crée un pacte garantissant l'hospitalité et la protection mutuelle. Cœur de l'ouvrage, cette observation de la kula débouche progressivement sur une coupe transversale de la culture trobriandaise. Car ce système, d'une grande complexité, oblige à aborder les questions de propriété et de répartition des richesses, les relations de parenté et les structures de pouvoir. Sans compter que la magie baigne l'ensemble des activités. Mais Malinowski ne donnera pas une interprétation définitive de la kula. En fait, c'est Marcel Mauss, son fervent lecteur, qui va magistralement théoriser l'importance de cet objet nouveau - qu'il appelle le don -, la kula lui apparaissant aussi comme un « fait social total » (Essai sur le don, 1923-1924, voir l'article, p. 8). L'ouvrage représente le modèle type de la méthode d'investigation du fonctionnalisme. Celui-ci postule que les éléments de la société interagissent, forment un tout et sont tournés vers un même but. De nombreux ethnologues sont retournés aux îles Trobriand, complétant les descriptions et analyses de Malinowski. Parmi eux, l'Américaine Annette Weiner a découvert un système d'échange-don réservé aux femmes et lié aux rites mortuaires. Malgré les critiques (l'accent mis sur la sexualité, l'intérêt porté à la psychanalyse, le style impressionniste), cette monographie demeure un modèle de référence en ethnologie.